•     Sur la route de Téloriel, en chemin pour les bois du Méhorn, je fis la connaissance d’un vieil homme. Si L’habit ne fait pas le moine, il n’en était pas moins redoutable et aiguisé d’esprit, que son corps fut simplement vêtu et vouté, sans doute par le temps rude du pays dans lequel je me trouvais.

         Après une longue marche, qui me gelât les os et rendit mes muscles inaptes à porter ma besogne plus longtemps : je me permis une halte plus nécessaire que méritée. Sur le bord de route, entouré de champs ; adossé à un arbre aux branchages courbes et tombants, je me rafraichissais lorsque l’inconnu se dressa comme par magie dans mon champ de vision. Il était lent, mais d’un pas sûr et agile pour une route aussi accidentée ; je ne sentais point de danger et laissa ses pas nous rapprocher l’un de l’autre. Arrivé à ma hauteur, le voyant ne pas tourner le regard vers moi, je ne pus m’empêcher de l’interpeller :

         -« Excusez-moi monsieur, sommes-nous encore loin de Téloriel ? »

        Presque immédiatement, il s’arrêta pour me répondre la tête baissée sans se retourner :

         -« Non cher monsieur, vous n’êtes plus qu’à trois ou quatre heures de marche. »

        Aussitôt sa phrase terminée, il n’attendit pas de remerciement pour sa réponse. Je me levai donc pour le remercier :

         -« Merci pour le renseignement monsieur! Peut-être avez-vous soif, j’ai de l’eau à partager…si vous en voulez. »

        Avec simplicité le vieil homme accepta, se retourna et pris le temps de s’assoir près de moi pour boire à ma gourde et entamer la conversation sur le climat ingrat du pays, ainsi que les paysages simples mais parfaits pour qui aime marcher. De fil en aiguilles et surtout quand j’y repense de façon plutôt habile ; il m’amena à discuter de la manière dont on percevait les choses. Puis il en vint à me dire :

         -« Doit-on voir le sens du mot "spiritualité" comme un état de conscience dans lequel les êtres humains sont pleinement capables de contrôler tous les potentiels de l'espèce, quelque chose qui se réalise en transcendant la simple condition animale à travers un difficile entraînement psychique, moral et intellectuel ? »

        Le temps me manqua pour répondre qu’il enchaîna :

         -« Ou de façon sobre et pragmatique, comme une idéalité vide, une assertion sans aucune base que nous pensons être très belle car elle se trouve incrustée de concepts littéraires et d'expressions poétiques, mais qui ne va jamais au delà de ça ? »

        Après analyse, et remis de mes émotions d’un sujet abordé, auquel je ne m’attendais pas en ces circonstances ; ma réponse arriva enfin :

        -« Si je me base sur mon vécu, je répondrai que les gens voient la spiritualité comme un concept littéraire. Mais je pencherai plus pour une transcendance, tel un entraînement, une foi inébranlable. »

        Avec un sourire simple mais rassurant, il m’observa un instant avant de me répondre :

         -« Pour moi, il ne peut exister qu'un univers prédateur dans lequel l'intelligence ou la conscience font suite à la vie et la mort, bien qu’un autre système cognitif semble envisageable à la condition du « moi » et de son intention. Au final, la plus difficile attitude à adopter; être monolithique et en même temps avoir la flexibilité de faire face à tout.  »

        Si mon esprit n’avait pas tout saisis, mon cœur, lui répondit :

         -«  Vous êtes difficile à cerner monsieur, je ne sais pas si on peut être à la fois le roseau et le chêne... Mais avant de continuer à débattre, il me faut d’abord vous comprendre. Derrière ce langage fort complexe pour mon faible entendement, je pense avoir deviné la chose suivante : vous croyez en un univers où tout est déterminé par des mécanismes aveugles et absolus, est-ce exact ou suis-je complètement dans le faux ? Comme je le comprends cela donnerait : être à 99%  pur matérialiste mais pousser la rationalité jusqu’à prévoir le 1% d’éventualité que le hasard brut ne soit pas la seule chose régissant la vie ? »

        Ensuite, se passa un moment de paisible silence, avant qu’il ne me dise ce qui reste pour moi, l’explication la plus logique que j’ai, à bien des choses qui me seront arrivées par la suite :

         -« L’hypothétique système cognitif que j'envisage ne sera jamais qu'une combinaison parmi tant d'autres, une éventualité; la mienne, mon libre arbitre...Cependant si un autre système de valeurs et de perception devait avoir une base, ce  serait sans doute un flot continu d'intention. Ce qui pour moi importe dans ce brouillard de mots c'est que l'absolu laisse entrevoir une hérésie; l'exception qui confirme la règle. Donc au choix, soit l'intention nous dirige, soit le manque d'attention nous laisse victime du 1% hasardeux...»

     

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  •    Au matin d’un printemps froid mais ensoleillé, ce que je vécu dans ces bois changea à tout jamais la magie des lieux en une légende perdue. Tout commença alors par un sifflement sourd et particulier, un son si profond que nul éveillé à ce moment n’aurait pu ne pas entendre ce qui s’avèrerait être la cause de toute suite. Ce jour là, Hozbon mon ami à quatre pattes, réveillé depuis l’aube, attendait patiemment sur le devant d’une trappe à même le sol : la porte d’entrée de mon havre de paix.   Sorti de mon sommeil avec autant d’effroi que de curiosité, je ne pris pas le temps cette fois là de penser à suivre le rituel habituel de tout les jours ; je pris mon arc et ma cape et partit résoudre le doute du silence qui précédait ce sifflement sourd et inquiétant. Bien que pressé par la curiosité, je ne pris pas le risque de sortir par la trappe au sol qui menait à mon antre. Je me précipitai par le tunnel qui menait au chêne creux et je montai l’échelle jusqu’à la passerelle. Une fois arrivé, le souffle haletant et le cœur battant au rythme du silence aussi pesant qu’inhabituel, je m’allongeai pour scruter le sol du haut des cimes. Ma première inquiétude fut de ne pas voir Hozbon, ma seconde inquiétude fut de ne rien voir d’autre que le paysage figé sans même une feuille qui bouge. Après quelques minutes d’observation et de questionnements, je pris immédiatement le chemin du retour vers ma demeure, pour m’équiper en conséquence d’une sortie et afin également de prendre avec moi mes meilleures armes. Aussi bien la décision de partir à la recherche d’Hozbon avait été facile, aussi dur avait été le moment d’ouvrir la trappe qui menait à l’extérieur. Une fois dehors et bien équipé, je pris de l’assurance ; suffisamment en tout cas pour ne pas m’inquiéter de la distance qui s’insinuait entre moi et mon repère. Mais aucuns des endroits où je pensais trouver mon fidèle ami ne se révélas être la bonne idée de recherche ; mon inquiétude se changea alors en peur, celle de me retrouver seul. Je retournai donc sur mes pas, en espérant voir ce chien noir et feu au regard intelligent et complice, à m’attendre au seuil de la maison. Soudainement, sur le retour, une brume épaisse m’encercla et ce son si profond qui m’avait fait me lever se reproduisit, mais le son venant de toutes directions en même temps, je ne pus me résoudre à avancer. Après six ou sept secondes de stupeur auditive : face à moi s’avança une nuée de feuilles orangées, vertes émeraudes et rouge sang. Mes jambes ne fléchirent pas, mais mon arc me tomba des mains, mon regard se figeait et plus je pensais à ce que pouvait être cette entité, plus je reculais à son avancée vers moi. Quand je fus acculé à un arbre qui barrait ma fuite, la masse de feuilles tournoyantes s’adressa à moi en ces termes : 
       -N’ai pas peur Elnor, je ne te veux aucun mal.
    Quelle ne fut pas ma surprise en entendant mon nom, que personne n’avait prononcé depuis de nombreuses années. Ma réponse ne vint pas, j’était sans doute trop habitué à ne pas entendre mots autres que les miens. Alors l’entité reprit :
     
       -N’ai pas peur, je ne veux que te parler.
    Cette fois la voix douce me rassura sans doute assez, alors je répondis :
       -Me parler de quoi, de ma folie, de l’absence d’Hozbon ou de toi ?
    Puis elle me répondit :
       - Rien de tout cela, Elnor, mais juste du risque que tu prends à rester ici si longtemps.
    A cet instant mon sang se glaça à l’écoute de cette sombre nouvelle qui s’annonçait. Mais je restai sans voix et ne dis plus rien.
     
        -Sauf si ton désir est de mourir en ces lieux Elnor, tu dois partir au plus vite. Je ne suis qu’un messager des arbres que tu chéris avec respect. Et c’est pour cette raison qu’ils te préviennent que le danger te guette comme tous ceux qui vivent en ces lieux. Je ne peux te dire quel danger te menace mais seulement te rassurer sur ton compagnon Hozbon. Il t’attend à la lisière ouest du bois. Prend ta décision, mais prend la rapidement homme des bois. Et surtout n’oublie pas que tu n’est point fou de me voir et m’entendre, mais seulement chanceux l’ami.
      A peine sa phrase terminée, je vis les feuilles s’envoler vers les cimes et la brume se dissiper.

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  •    Depuis ma fuite de l’empire voisin, pour des raisons que je tairais pour l’instant, vers les bois obscurs du Méhorn, je vivais en compagnie de mon fidèle chien. Seuls mais paisibles parmi les innombrables secrets qui ornent les terres de brumes et de marais, nous travaillions à entretenir notre tranquillité en nous tenant à l’écart de toute inopportune rencontre.
       Je chérissais depuis cette époque, avec singularité les arbres qui me cachaient et me protégeaient de la vilénie de mon espèce. En effet, je vivais dans « les bras des géants », entre racines et minéraux, là où les plus téméraires des mineurs de Ragoth ne s’aventurent pas. Un des nombreux composants de ce sol était une pierre souvent grosse comme une châtaigne. Sa particularité était connue de peu de gens ; elle brillait comme une étoile pâle. A mon arrivée dans les bois du Méhorn, j’avais découvert un passage dans un tronc creux qui menait à un escalier souterrain. Obsédé par le désir de fuir et intrigué, je ne puis m’empêcher de descendre cet escalier mystérieux, une torche improvisée à la main. Bien souvent, je repensai à ce moment où je pris le risque de m’aventurer dans ce que je ne savais alors pas être l’ancienne demeure du roi des traitres : Falgoren le fou, disparu il y a de ça plus de deux cent ans. Mais le sourire ne me manque jamais au souvenir de la découverte de cette salle enfouie cent pieds sous terre ; lumineuse et chaleureuse, les murs et le plafond recouverts de cette pierre  magique et providentielle pour qui voulait se cacher.
     Si belle qu’elle était, plus inquiétante encore était cette pièce à mes yeux ; je ne pouvais alors pas me résoudre à profiter de cette aubaine et faire de cet endroit ma nouvelle demeure. Mais le sentiment que personne ne pourrait me trouver en pareil endroit fit germer en moi une idée qui me motivait de jour en jour. A l’autre bout des bois obscurs, proche d’une demi-douzaine de chênes aussi somptueux que gigantesques, je décidai de creuser toujours plus profond. Les premières années furent celle de la terre : j’avais pris gout aux souterrains et ne m’étais pas contenté de deux ou trois pièces. Ma demeure  comportait neuf pièces aussi grandes les unes que les autres. Toutes sauf une : ma chambre, étaient éclairées de milles feux. Bien sûr, hormis la cuisine, le salon et la pièce « propre », les autres servaient à entreposer nourriture et bien d’autres choses utiles pour la plupart. Mais quand chaque chose eut pris sa place, il était temps de passer à la seconde étape de mon projet.
    Un tunnel de quelques dizaines de mètres, partant de l’une des cinq pièces de trop, m’avouais-je parfois ; menait au tronc creux de l’un des chênes majestueux qui me berçait de ses racines. Une fois arrivé à la base de l’arbre, une échelle montait par l’intérieur jusque deux douzaines de mètres environ, avant de poursuivre sa route vers la cime d’autres chênes par un jeu de passerelles. Cette construction était ma plus grande fierté, mon désir étant de rester à l’écart des « autres » ; je me félicitais donc de ne rien percevoir moi-même du sol. L’excuse que je m’étais donné d’accomplir tout cela était de pouvoir cultiver à l’abri des regards, mais la raison qui m’avais poussé à le faire, était de pouvoir contempler étoiles, aubes et  crépuscules.
      
      Pendant de nombreuses années, je vécus seul mais occupé ; mais au bout d’un certain temps, la solitude prit une forme à laquelle je ne m’attendais pas : l’ennui le plus dangereux et sournois qu’il soit.
     Pris de folies passagères, je me mis à prendre des risques : happé par la curiosité, je guettais en retrait les allées et venues d’un groupe d’enfants joueurs en quête de frissons dans ces bois obscurs empreints de légendes du soir que leurs parents leur contaient avant de dormir.
     Une fois par semaine je patientais en espérant entendre ces rires dont j’étais devenu dépendant. Mais le sort cruel qui me caractérise face aux autres de mon espèce m’amena à me faire remarquer, les enfants pris d’une terreur égale à leur imaginaire s’enfuirent et ne revinrent pas. En revanche, l’un des pères confiant dans les dires de son enfant, se mit en chasse du « monstre ».
     Me rendant alors compte de mon erreur je ne pus que maudire le destin qui me poussa à ne plus chasser ni pêcher pendant tout un été ; me privant ainsi de mes ballades libres de tracas. A la place les insomnies se multipliaient et les doutes s’installaient. Bien qu’heureusement pour moi le rude hiver  arrivant les visites inopportunes se firent de moins en moins nombreuses jusqu'à ne plus être. Au final, je pris la décision de me faire violence et ne vit plus personne, même si je ne pouvais être vu.


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